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D'Elles

PARTICIPATION DES FEMMES AUX ESPACES DE POUVOIR EN HAITI : ESQUISSE DE LA CONCRÉTISATION D’UNE REVENDICATION FEMINISTE

7 Mars 2014, 18:25pm

Publié par PublicaD'Elles

La participation politique des femmes est étroitement liée à l’émergence du féminisme sous sa forme organisée et donc avec la création de la Ligue Féminine d’Action sociale au début du 20e siècle. Certes, l’histoire du 19e siècle haïtien fourmille de femmes de pouvoir c’est-à-dire des femmes qui ont leur proximité avec le pouvoir pour influencer positivement le cours des choses. Marie Claire Heureuse Bonheur, Rézia Vincent en sont des modèles positifs. Rézia Vincent est à l’origine de ce qu’on pourrait appeler une politique étatique du care. Selon Madeleine Sylvain Bouchereau, la création d’institutions d’assistance sociale dont l’œuvre des Enfants assistés ou encore la Caisse d’Assistance Sociale (qui existe aujourd’hui encore) sans oublier des structures de prise en charge des personnes âgées. Rézia Vincent a également impulsé des politiques en faveur de l’éducation des filles en Haïti.

Il existe également des femmes de pouvoir (plus controversées mais pas moins intéressante pour moi) comme Joute Lachenais qui réussit deux carrières de première dame qui totalise trente six ans (1807-1843). Elle épousa le président Alexandre Pétion (1806-1818) puis son successeur Jean-Pierre Boyer (inscrire la durée de son mandat). Les historiens s’accordent à dire qu’elle a joué, pied et main, pour inciter le président Alexandre Pétion à faire de Jean Pierre Boyer son successeur. Ce dernier était par ailleurs son amant. Les historiens (majoritairement des hommes) lui ont collé une étiquette d’intrigante et de femme de mœurs légères. Les féministes dans leurs discussions lui font peu de place. Comme Rézia Vincent, elle n’a d’ailleurs n’a pas vraiment mis son pouvoir pour améliorer la vie des plus pauvres. Je ne me suis pas encore fait une position sur cette question. Avec du recul et de l’expérience, je ne cherche plus à trouver des modèles féministes purs. Il faudrait sans doute se démarquer d’un certain angélisme idéologique et se placer dans une position plus scientifique (en tenant compte du contexte-socio-historique) pour comprendre que ce sont des femmes engagées à corps perdus dans des logiques qu’elles ont essayé de les contrôler avec les ressources dont elles disposaient. Pour le dire clairement qui se démerdent comme elles peuvent et donc avec comme ressources matérielles et les valeurs dont elles disposaient et donc avec les ressources de leur époque ainsi que de leurs milieux. Ce qui m’empêche de s’identifier ou de valoriser des figures féminines et/ou féministes plus en accord avec les valeurs féministes.

La Ligue Féminine d’Action sociale signe un tournant important dans la mesure où les femmes se donnent un outil politique pour éliminer les discriminations dont elles sont l’objet du même coup la participation des femmes aux espaces de pouvoir – à égalité avec les hommes – devient une revendication politique clairement et donc un enjeu des luttes de femmes. Crée en 1934, elle est la première organisation féministe de l’histoire sociale haïtienne. Elle est à l’origine de nombreux acquis en matière de droit des femmes : l’autonomie des femmes dans le mariage, le droit des femmes et des filles à l’éducation, le droit de vote et l’accès des femmes aux postes de pouvoir et de décision. Son combat s’est donc articulé autour de la citoyenneté des femmes. Cependant, la bataille la plus longue et la plus longue et la plus ardue de l’organisation féministe concerne le droit de vote des femmes. Après deux échecs cuisants en 1938 et 1946, la LFAS déploie une vaste mobilisation politique favorisant à la fois le ralliement des femmes de toutes les couches sociales au combat en faveur du droit de vote des femmes ainsi que le soutien de quelques hommes progressistes jouissant d’une certaine reconnaissance sociale. On peut citer par exemple, Etienne Charlier, Président du Parti Socialiste, Edouard Tardieu, directeur du journal « l’Action sociale » ou encore Dantès Bellegarde. Dans son combat en faveur des droits de vote, la Ligue Féminine a également bénéficié du soutien sororal des organisations féministes internationales notamment de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix. La stratégie politique de la Ligue Féminine se révèle payante puisque la Constitution de 1950 accorde à tout haïtien âgé de 21 ans accomplis, sans distinction de sexe, les droits politiques. Toutefois, selon les prescrits de cette constitution, les femmes ne pourront voter que trois ans après leur participation aux élections municipales. Cette constitution induit donc l’idée d’un accès graduel des femmes aux droits politique. Dans la réalité pratique, les femmes votent pour la première fois aux élections de 1955 – mais uniquement au niveau municipal. Selon Madeleine Sylvain Bouchereau, plusieurs femmes se porteront candidates aux postes municipaux. Huit d’entre elles seront élues. Les femmes votent aux élections générales de 1957. Mais immédiatement après, une dictature s’installent dans le pays empêchant aux femmes, comme aux hommes, l’exercice des droits politiques. Ainsi, contrairement avec la dictature, le viol et la torture des femmes deviennent une arme d’intimidation et de répression des femmes et de leurs proches donc une arme politique. L’une des toutes premières victimes de la dictature est Yvonne Hakim Rimpel, militante de la Ligue Féminine d’Action sociale. Toute mobilisation politique étant réprimé, des femmes se mobilisent activement dans la résistance civile à l’extérieur du pays : au canada, au Mexique, au Brésil. Certains membres de la Ligue Féminine s’exilent à l’étranger et d’autres intègrent l’administration publique pour se consacrer à la prise en charge des personnes vulnérabilisés par des rapports sociaux de plus en plus injustes. Il faut souligner au début de l’ascension de François Duvalier à la présidence, la nomination de Lydia Jeanty, militante de la Ligue Féminine d’Action sociale, au poste de sous-secrétaire d’Etat au département du travail. Mais, c’était une goutte d’eau dans un océan puisque l’appareil étatique était largement occupé par des hommes. Les dictatures sont essentiellement des pouvoirs virils. Ce qui n’exclut pas la collaboration de certaines femmes.

Avec la chute de la dictature, la vie associative et syndicale connaît un foisonnement particulier et on assiste l’éclosion d’une multitude d’organisations populaires. Des organisations de femmes et féministes sortent de la clandestinité dans laquelle elles fonctionnaient jusque-là. C’est le cas notamment de la Ligue Féminine d’Action sociale, Kay Fanm, Solidarité des Femmes haïtiennes Mais de nouvelles organisations de femmes et féministes naissent comme Fanm d’Ayiti, Konbit Liberasyon Fanm, Comité féminin contre la Torture, Ligue haïtienne de Défense des Droits des Femmes rurales, (1985), mais aussi Enfofanm (1987), l’Association des Femmes de Carrière libérale et commerciale ou encore Fanm d’Ayiti. La revendication de la participation des femmes aux espaces de pouvoir rejaillie dans la foulée. Cette revendication s’est clairement exprimée à travers la manifestation du 3 avril qui réunissait plus de 300 mille femmes. Toujours dans la foulée de mobilisation féminine et féministe, la Constitution de 1987 consacre le principe de l’égalité femmes/hommes. Mais, il faut noter que la concrétisation des revendications féministes et plus spécifiquement la question de la participation politique ne peuvent éclore et fleurir que dans un cadre politique démocratique et donc sensible aux exclusions et discriminations des minorités. Ainsi, ce qu’on appelé aux lendemains de 1986, la difficile transition vers la démocratie a constitué un obstacle à la concrétisation des revendications féministes. Cependant, avec la création de Fanm Yo La, la revendication en faveur de la participation politique des femmes se posent avec plus d’insistance. Des programmes sont mis en place à la fois pour encourager les femmes à briguer des postes électifs mais encore pour outiller et renforcer les capacités des potentielles candidates. Je pense par exemple aux succès du programme comme « Les femmes à l’école de la politique » ou encore le succès de « Les femmes à le rencontre des Partis Politiques ». Dans la dynamique en faveur de la participation des femmes aux espaces de pouvoir, il faut souligner la création du Ministère à la Condition Féminine dont l’une des fonctions essentielles est de promouvoir les droits des femmes et donc leur participation à la prise de décision. Du même coup, les engagements de l’Etat haïtien, à travers la ratification des conventions internationales, en faveur de l’égalité femmes/hommes.

Depuis 1986, la participation politique des femmes évoluent en dent de scie. De 1991 à aujourd’hui, Haïti a connu deux premières ministres. Elles n’ont pas fait long feu cependant happée par une culture politique fondée sur le sexisme, la violence et la manipulation…etc. Claudette Werleigh n’a passé que quatre mois en poste. Michelle Duvivier Pierre-Louis n’auras passera environ un an donc plus de temps que Claudette Werleigh mais pas assez pour impulser des politiques en faveur de l’autonomisation des femmes ni pour des politiques en faveur de l’autonomisation des femmes. En 1991, on connait trois femmes ministres et 1 conseillère d’Etat. En 2003 cinq des seize postes ministeriels étaient occupés par des femmes. La consécration du principe de quota de 30% de femmes dans les espaces de pouvoir constitue un pas important. En effet, l’article 17.1 fait injonction à toutes les entités politiques, économiques et financières d’avoir un quota d’au moins 30% de femmes tant au niveau des espaces décisionnels qu’au niveau médian. Ceci a permis d’accroitre la présence des femmes au sein du pouvoir Exécutif où l’on compte actuellement environ 44% de femmes. Au cours de l’année 2013 et aujourd’hui encore les organisations féministes se mobilisent en faveur de l’application de ce principe constitutionnel. Je suis optimiste quant à la réussite de ce combat. Je crois fortement au pouvoir de mobilisation et de persuasion des organisations féministes bien que les discussions avec le président du CEP en été dernier m’ont laissé un gout amer à la bouche.

J’adhère au combat en faveur de la parité c’est-à-dire la participation des femmes à égalité (numérique mais également en termes de pouvoir pratique à influencer le cours des choses). La sous-représentation des femmes en politique est la résultante des discriminations contre les qui sont systémiques. Myriam Merlet l’a montré dans son livre portant justement sur la participation des femmes. Mais certaines expériences pratiques obligent à re-positionner la question. Il faut plus de femmes dans les espaces de pouvoir. Indéniablement. Néanmoins, il nous faut des garanties minimales que ces femmes auront le pouvoir pratique et la volonté politique en vue d’impulser des changements profonds en faveur de l’autonomisation des femmes et des filles mais encore en faveur de l’égalité femmes/hommes.

~~ Natacha Clergé

PARTICIPATION DES FEMMES AUX ESPACES DE POUVOIR EN HAITI : ESQUISSE DE LA CONCRÉTISATION D’UNE REVENDICATION FEMINISTE